Histoires de voyage

J’ai envie de vous emmener en voyage. Ceux et celles qui me lisent savent que mes récits se déroulent aux quatre coins du monde. Alors, aussi bien vous parler de ce que je connais. Mais avant, je vous livre quelques confidences. J’ai rencontré mon mari David (un Allemand) il y a trente-trois ans, au Mexique. Nous avons fait plus ample connaissance en sillonnant pendant six mois le Guatemala, le Belize, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et la Bolivie. Ce fut notre premier grand voyage ensemble. Et nous y avons pris goût !

Nos deux filles sont aussi animées par la passion de découvrir le monde. J’ai écrit mon premier livre lorsque nous sommes allés les visiter en Colombie. Elles revenaient alors d’une randonnée à la Ciudad Perdida, la Cité perdue. C’est ainsi que Sam Pelletier, le héros de mon roman Le Toucan, empruntera la même route.

Mes filles influencent beaucoup mon écriture. Souvent, mes personnages leur ressemblent. Comme elles, ils sont débrouillards, curieux, fonceurs, brillants. Ils connaissent plusieurs langues et ils se sentent concernés par ce qui se passe autour d’eux. Et maintenant qu’elles sont adultes, c’est à leur tour de me donner de précieux conseils de voyageuses. En voici un : « Lorsque tu as une grosse coquerelle noire, luisante et hideuse ou une espèce d’araignée géante plaquée sur le mur de ta chambre, au lieu de t’exciter et de perdre ton sang-froid, tu lui donnes un nom. »

Je peux vous dire que ça marche ! Le mois dernier au Laos, j’avais un lézard énorme à côté de mon lit. J’ai suivi leur conseil et je l’ai baptisé Albert.  

Je le saluais poliment :  — Bonjour, Albert !
Et il me répondait : — Géco ! Géco ! Géco !
Nous avions désormais une relation de vivant à vivant !

Lorsque je quitte le Québec pour plusieurs mois, j’emporte uniquement un petit sac à dos que je prends avec moi dans l’avion. En plus de mes vêtements et des objets indispensables, j’y range un cahier à dessin, mes couleurs et mon ordinateur. Comme vous le voyez, je voyage léger.  J’essaie aussi de voyager léger dans ma tête. De laisser derrière moi une façon de faire, des habitudes, des préjugés, des certitudes…
Lorsque je regarde les gens vivre dans des cases en Afrique, dans des cabanes sur pilotis en Asie, des abris de carton dans les bidonvilles… je me dis que j’ai plus de choses dans mon bagage qu’ils en ont dans leurs maisons. Et je prends conscience des disparités qui nous séparent, bien que nous soyons tous des habitants d’une même petite planète.
Voyager léger comporte par ailleurs ses inconvénients. Nous ne sommes pas autorisés à tout emporter dans la cabine. Un jour, nous étions dans un aéroport au nord de l’Inde quand le préposé à la sécurité a découvert dans mon sac à dos un stylet (couramment appelé cutter ou Exacto). Je lui ai vite expliqué que je l’utilisais pour couper les cartons sur lesquels je peignais. Pour preuve, je lui ai montré ma dernière aquarelle d’une femme indienne. Pendant qu’il feuilletait les pages de mon cahier à dessin, je me suis souvenue que les terroristes qui ont détourné les avions sur le World Trade Center avaient utilisé ce simple objet. J’étais horrifiée ! Quel oubli ! Qu’allait-il m’arriver ?

Le fonctionnaire examinait le cutter minutieusement. Il faisait coulisser la lame en dehors et en dedans tout en réfléchissant. J’avais peur ! Allaient-ils m’arrêter ?
Puis, un sourire jovial est apparu sur son visage. Il m’a tendu mon instrument en me disant en anglais :
— Vous pouvez le prendre avec vous dans l’avion si vous me promettez que vous ne le sortirez pas de votre sac.
Abasourdie par sa manière de concevoir la sécurité, je lui ai répondu : — Promis !

Nous avons adopté à travers les siècles des expressions que nous savons fausses, mais que nous persistons à utiliser. Par exemple : que le soleil se lève ou qu’il se couche. Le problème, c’est que nous sommes incapables d’imaginer que nous existons sur un corps céleste en mouvement.

Il y a quelques années, j’ai fait une drôle d’expérience à ce sujet. Nous étions en Inde, dans le désert du Thar, tout près de la frontière du Pakistan. Pendant quelques jours, nous avons fait route sur des chameaux. Nous dormions sur le sable, étendus sur une simple couverture. La première nuit, je n’ai pas fermé l’œil. J’étais couchée sur le dos, je contemplais les étoiles et je voyais bien que je perdais des bouts de ciel à mesure que le temps passait. Pour la première fois de ma vie, j’avais conscience que c’est bien la rotation de la Terre qui détermine les jours et les nuits. Et non seulement je percevais le mouvement de ma planète, mais je me sentais comme une partie de notre Système solaire, lui-même accroché quelque part sur un des bras de notre galaxie, la Voie lactée. Je la voyais elle-même plongée dans un amas de galaxies, et le tout entouré de milliards et de milliards d’autres. Et étrangement, je n’avais pas le sentiment d’être minuscule. Au contraire, j’étais bien une partie du grand tout ! Je me suis finalement endormie, en plein voyage intergalactique.
Au petit matin, j’ai ouvert les yeux pour constater que l’Univers s’était transformé en une énorme tête aux bajoues pendantes qui m’observait tranquillement… 
Je lui ai dit :
— Est-ce que tu sais que la Terre tourne sur elle-même ?
Le monstre a haussé les bosses et a fait demi-tour.

Il y a 5 ou 6 millions d’années, en Afrique, nos ancêtres luttaient jour après jour pour leur survie. Ils étaient bien mal équipés pour se défendre : pas de cornes, pas de griffes ou de dents. Mais ils avaient une chose que les autres n’avaient pas : l’intelligence ! Avec le temps, ils ont fabriqué des armes, se sont construit des maisons, cultivé la terre, inventé la roue, les cellulaires, les jeux vidéo… Au cours de mes déplacements, j’ai eu souvent l’occasion d’admirer cette faculté extraordinaire de l’homme de s’adapter. Au lac Inle, au Myanmar, ce pays qu’on appelait autrefois la Birmanie, les gens ont dû s’installer sur un lac, faute de pouvoir trouver une autre place. Ils y ont construit leurs maisons sur pilotis, leurs écoles. Même le bétail est gardé sur un plancher de bois supporté par des piquets plantés dans l’eau. Le matin, les enfants partent à l’école en pirogue. Les habitants du lac ont découvert qu’ils pouvaient cultiver des plantes sur des jardins flottants. Ils fournissent ainsi les tomates au reste du pays. Dans l’une de ces cabanes, nous avons visité une fabrique de tissage. Je me demandais bien où ils pouvaient trouver de quoi tisser lorsque j’ai vu une femme retirer les filaments de l’intérieur de la tige d’une fleur de lotus, puis d’un deuxième, troisième… Ensuite, elle les a roulées par terre pour qu’elles se lient l’une à l’autre… et elle a entrepris de les tisser !

Au fond, toute l’adaptation est une question d’imagination et de gros bon sens. Et il en va encore de même aujourd’hui avec les grandes découvertes scientifiques. Par exemple, en 2013, pour propulser notre sonde spatiale Voyager 1 hors de notre système solaire, les ingénieurs spatiaux ont eu une idée de génie : se servir de la masse des planètes géantes comme d’un lance-pierre ! Un jeu d’enfant !

— Qu’est ce qu’on mange ce soir ?  C’est LA question que la plupart des jeunes posent à leur mère ou à leur père en rentrant à la maison. Et si un jour, vos parents vous répondaient :
— Du poumon de chèvre farci à la cervelle de porc ! Et, je t’ai préparé quelques œufs de fourmis, chérie. Mais n’en mange pas trop. On soupe dans une heure !
Ceux qui ont lu Le Baiser du lion se souviennent de l’alimentation des Massaïs : du sang mélangé au lait de vache. Et ils ne sont pas les seuls à manger de drôles d’affaires. En Colombie, on vend de grosses fourmis noires croustillantes dans de petits sacs, comme des chips. Ce n’est pas mauvais, mais les pattes restent souvent coincées au fond de la gorge. 

En Asie, on retrouve souvent dans les marchés les pattes de poulet, griffes en l’air et accrochées sur un bâton. Et les gens vont d’une place à l’autre en les dégustant comme des barbes à papa. En Chine, on mange encore dans les campagnes… des chiens. Au marché de nuit de Bangkok, on retrouve toute une variété de scorpions, sauterelles et scarabées grillés. Ils sont servis dans un petit cornet de papier. Ça fait chic ! Dernièrement, mes filles ont goûté au poumon de chèvre au Népal ! Il paraît que le goût est ordinaire. Dans le même pays, il y a cinq ou six ans, j’avais mangé une poutine au fromage de yack. Délicieuse ! Parfois, vaut mieux avoir le cœur solide lorsqu’on vous offre un rat en brochette. Et souvent, le matin vous aimeriez choisir une rôtie au beurre de peanuts plutôt qu’une soupe au poisson.
Mais bon… à Rome, il faut vivre comme les Romains !

L’un des plaisirs du voyage est de se déplacer en Tuk Tuk à trois roues ou dans les transports en commun avec les gens de la place. Souvent, les bus sont pleins à craquer. Au Sri Lanka et en Inde, la politique est qu’il y a toujours de la place, même si des hommes sont accrochés aux portes, aux fenêtres et que l’autobus ressemble à une grappe de raisins. Un jour, je n’ai même pas été capable de descendre à destination tellement il y avait du monde. Alors, j’ai continué de jaser avec ma voisine, une étudiante en agronomie. Nous correspondons toujours par courriel.

En Tanzanie, notre vieux bus est tombé en panne. Personne n’a maugréé. Le chauffeur a ouvert le capot et à peu près tout le village est venu regarder le moteur. Trois heures plus tard, on repartait dans la bonne humeur, au son d’une musique assourdissante et endiablée.

J’ai vu au cours de mes voyages des embarcations très originales : bateaux munis d’une voile improvisée à l’aide d’une simple nappe au Myanmar, péniches de paille au Vietnam, barques de joncs tressés sur le lac Titicaca au Pérou, pirogue creusée dans un arbre en Amazonie, paniers tressés et enduits de goudron en Inde, barque à la proue relevée là où la mer est agitée, radeaux fabriqués avec des troncs d’arbres simplement attachés ensemble pour les pêcheurs les plus pauvres… Et l’on utilise encore souvent dans le monde la force motrice : vélo-taxis, carriole à cheval, brouette poussée par un homme qui en transporte un autre, charrette tirée par des bœufs, des ânes, des chevaux ou des chameaux. Étrangement, une image me vient à l’esprit : celle de la sonde Voyager I qui est sortie de notre système planétaire en 2013. Je crois qu’elle se déplace dans l’espace intersidéral à une vitesse de 17 kilomètres à la seconde, soit 60,000 km à l’heure !

 

Lorsque je voyage, je prends des notes pêle-mêle. Je vous propose ici un extrait d’un de mes carnets de voyage. Mais avant, sachez que Varanasi est une ville importante pour les Hindous. Ils rêvent qu’à leur mort leurs corps y soient brûlés et leurs cendres éparpillées dans l’eau du Gange.
Allons-y ! Je vous décris tout ce que je vois :
Nous marchons le long du fleuve sacré, sur les escaliers qui longent la rive. Il est 10 h, le matin. Des hommes dans l’eau jusqu’a la taille font leurs prières. Un troupeau de buffles noirs se baigne. Un homme frotte les bêtes une à une. Puis, il tente de les faire sortir de l’eau. Pas facile !
Une petite fille fabrique des galettes de bouses de vaches qu’elle colle sur le mur pour les sécher. Elles serviront de combustible.
Trois morts brûlent sur les rives. Quatre chèvres font des pirouettes. Un cerf-volant rouge tourne dans la fumée d’un bûcher. Un homme lave ses vêtements. Un enfant rit.Le ciel et le Gange se confondent.
Un chien pouilleux se gratte. Un oiseau picosse les insectes sur la tête d’un buffle. Un cobra mort flotte au bord de l’eau. Des buffles arrivent encore, ils descendent les marches sur le bout des pieds.
Des chaloupes rouges attendent les clients. Une femme en sari vert lime jette des fleurs orange sur l’eau. Deux hommes sont assis sur les talons face à face. L’un tient un miroir, l’autre le rase.
Je n’aurais jamais imaginé Varanasi si paisible. Des tissus colorés sèchent sur les marches. Des garçons jouent au cricket avec un bâton et une roche sous l’œil attentif de trois vieillards.
Des prières résonnent d’une maison comme une longue plainte qui glisse sur le Gange et se perd dans le brouillard. Un enfant nu remplit sa chaudière et la verse sur sa tête. Des oies blanches nettoient leurs plumes dans l’ombre d’un bateau. Deux Indiens dans une barque jasent en se laissant dériver sur le Gange. On jette les cendres d’un mort dans le fleuve. Des enfants courent pour faire lever leur cerf-volant. La vie et la mort s’entremêlent et rien ne vient briser cette étrange harmonie.

Je regarde le Gange et sa pureté en dépit de tout. Varanasi est un lieu de transparence. L’œil s’arrête ou il veut. Et on peut s’y approprier un moment d’éternité.

Le 26 décembre 2004, nous nous trouvions à Bangkok en Thaïlande, lorsqu’un séisme s’est produit dans l’océan indien avec une magnitude de 9,1 à 9,3. Il a eu lieu à la frontière de deux plaques tectoniques. J’ai senti la terre bouger. Je marchais sur la rue et je me suis arrêtée pour regarder à travers la vitrine d’un magasin, les images à la télévision. J’ai vu la vague énorme qui allait engloutir plus de 200,000 personnes.

Un mois plus tard, j’ai rencontré au Vietnam un homme et son garçon de trois ans. Ils habitaient la cabane à côté de la nôtre et j’entendais souvent l’enfant réclamer sa mère. Au bout de quelques jours, j’ai parlé avec le père. Il est venu s’asseoir sur ma galerie. Son fils dormait. Il m’a dit tout de suite :

— J’ai perdu ma femme dans le tsunami. J’arrive de la Thaïlande. Je l’ai cherchée partout…

Il m’a détaillé les recherches qu’il avait faites parmi les cadavres. Un à un, il les avait examinés. Il m’a décrit l’odeur de putréfaction. Je pouvais la sentir. Il m’a raconté ses espoirs en apercevant un bout de tissus qu’il croyait reconnaître. J’espérais avec lui ! Mais, en vain ! Je n’avais jamais partagé de toute ma vie une si grande tristesse. Et le petit se réveilla en criant :

— Maman, maman.

Et le père l’a pris dans ses bras et encore une fois, il a emmené l’enfant près de la mer, la grande mère qui avait englouti la sienne.

On me demande souvent si j’écris directement à l’ordinateur ou avec un crayon et du papier. À cette question, je réponds toujours : les deux. Par contre, le confort n’est pas toujours au rendez-vous ! J’ai rédigé La Révolte au Myanmar sur une table basse, la fesse appuyée sur le bout d’une chaise en toile qui basculait vers l’arrière. David avait trouvé une boîte en carton sur laquelle je déposais mon ordinateur pour qu’il soit plus haut. C’est sur cette installation chambranlante que me sont venus les mots et les émotions pour raconter l’histoire de Zack.

Lorsque je voyageais en Tanzanie, j’utilisais souvent une mini enregistreuse pour garder en mémoire mes observations. Je posais plein de questions à mes voisins et cet appareil me permettait d’enregistrer les réponses. Dans Le Baiser du lion, vous retrouvez une scène qui se passe dans un minibus. Je cite : « Les occupants du daladala furent tous projetés sur leur droite. Il fallait avoir le cœur bien accroché. Autour de Gab, on parlait une langue dont les mots semblaient ronds comme des notes de musique. Tout en se cramponnant le mieux possible, Gab porta son attention sur ce qui se passait sur le trottoir. Il nota… ».

J’étais dans ce daladala et j’ai écrit cette scène tant bien que mal dans mon calepin, tout en me glissant dans la peau de mon personnage.

En voyage, il faut saisir l’instant où vous êtes inspiré. Même à Montréal, j’ai toujours dans ma poche un crayon et un carnet. Dans le désert du Thar en Inde, j’ai écrit une chanson alors que j’étais assise sur le dos de mon chameau qui se déhanchait de gauche à droite. Elle commence comme ça : J’aime les Yaks tout dépeignés. Qui triment dur toute la journée. Les chameaux sont plus heureux. Ils mâchouillent leurs chewing-gums. En s’donnant des airs de bums.
Bof ! Je ne pense pas que ça dominerait les palmarès, mais si vous avez envie de la continuer, ne vous gênez surtout pas !

Il y a des endroits où je ne fais que passer et d’autres qui m’attirent comme des aimants. Dans ceux-là, il y a le Myanmar, l’Inde, la Bolivie, la Colombie, le Guatemala, le Vietnam, le Laos, l’Indonésie, la Tanzanie, la Jordanie… et quelques pays d’Europe.
J’ai eu la chance à 17 ans de travailler un été au Honduras avec un groupe de personnes qui tentaient de donner un toit aux enfants de la rue. C’est au cours de ce voyage que j’ai compris que des gens vivaient d’une autre façon que nous et avec une vision différente de la vie.
Un jour, l’un des Québécois qui participaient au projet voulut se faire couper les cheveux. Le barbier a jeté un coup d’œil dans son tiroir-caisse et il a dit à mon ami :
— J’ai assez d’argent pour aujourd’hui, reviens demain !
J’étais abasourdie, estomaquée…
Depuis ce temps, je pars aussi souvent que je le peux à la rencontre des gens. J’adore visiter des lieux historiques et des musées, mais ce qui m’intéresse par-dessus tout, c’est cette façon différente d’aborder la vie en société.
Même en Europe, je vois des choses qui m’interpellent. J’étais dernièrement chez un ami à Munich, en Allemagne. Il me disait qu’ils ont des compteurs d’eau dans les maisons et ils paient pour l’eau qui entre dans la maison, et pour l’eau qui en sort, celle qui est rejetée dans l’évier et les toilettes… Quelle conscience écologique et quelle incitation à l’économie!
Et avec tout ça, je m’amuse à écrire des romans que vous lisez ou que vous lirez peut-être…

 

Quand on se déplace beaucoup, la notion de géographie prend tout son sens. Le seul fait de passer constamment d’un lieu à un autre nous fait noter les particularités des paysages: plaines, chaînes de montagnes, volcans, vallées, rivières sinueuses, canyons… En Afrique, la cassure dans la croûte terrestre que l’on a appelée la Vallée du Rift m’a même inspiré un livre : Le Baiser du Lion. Les volcans du Pérou et le culte que leur vouaient les Incas ont alimenté un autre roman : Destins Croisés.
En voyage, j’observe les gens, leurs différences dans la couleur de la peau, leurs traits, et c’est d’une autre géographie qu’il s’agit. J’ai vu des Boliviens qui me rappelaient les Amérindiens de chez nous. Et c’est normal. Les grandes migrations qui ont peuplé l’Amérique se sont déplacées du nord au sud et du sud au nord.En voyage, on apprend par-ci par-là un mot d’une langue étrangère. Il y a des sons et des mots qui se ressemblent. On dit que les 6000 langues parlées sur terre proviendraient de seulement 300 langues mères : nous sommes sur le terrain de la géographie linguistique !
Un jour, au Guatemala, dans un village situé au bord du lac Atitlan, deux petites filles se sont jointes à nous pour dessiner. Spontanément, elles ont tracé le lac et les trois volcans qui l’entourent.
En Chine, j’ai suivi des cours de dessin à l’encre. Je devais représenter des arbres. Là aussi, instinctivement je peignais des arbres de chez nous et la professeure me reprenait, car elle voulait que je dessine les bambous que l’on retrouve chez eux.
Nous avons une géographie intérieure. Je suis originaire de l’Abitibi. C’est une grande plaine qui offre souvent une vue à 180°, comme dans les déserts ou sur le bord de la mer. C’est sans doute pourquoi je suis si attirée par ces lieux !
Par contre, ce que je connais moins me fait peur.
Un soir en Indonésie, nous soupions dehors, à quelques kilomètres du mont Merapi. Le volcan était en éruption. Pendant la journée, nous l’avions entendu gronder et faire quelques rots, mais à la noirceur… l’horreur ! Il exécutait une chorégraphie rougeâtre dans le ciel. On se serait cru au milieu d’un feu d’artifice. Et notre hôtesse, habituée aux caprices du dragon, persistait à l’ignorer:
— Encore un peu de riz, Élizabeth ?

Au printemps 1986, nous étions dans les Alpes autrichiennes lorsque la centrale nucléaire de Tchernobyl située dans l’ancienne URSS a perdu le contrôle d’un réacteur entraînant une explosion qui a libéré des éléments radioactifs dans l’atmosphère. L’accident a eu pour effet de contaminer l’environnement et de provoquer de nombreux décès chez les populations avoisinantes.
En Autriche, les postes de radio et de télévision nous incitaient à rester dans les maisons, les portes et fenêtres closes. Le nuage radioactif est passé au-dessus de nos têtes comme un ennemi invisible, impossible à combattre. Depuis ce temps-là, je ne vois plus l’énergie nucléaire du même œil. J’espère qu’on pourra un jour s’en passer, tout autant que le pétrole.
Nous sommes un peu comme les grands explorateurs qui cherchaient de nouvelles terres. Nous devons trouver des énergies renouvelables et non polluantes. Et si on pouvait imiter les plantes et utiliser la lumière du soleil comme source d’énergie ?
En attendant, je me demande toujours si les radiations de Tchernobyl ne m’ont pas un peu affectée. J’ai parfois l’impression que des ailes ont poussé sur mon dos…

Il y a 35 ans, j’ai vécu l’aventure la plus singulière de toute ma vie. Nous étions (David et moi) en pleine forêt amazonienne, à une journée en pirogue du dernier village relié par la route au reste du pays. C’est là que nous avons pris part à une expédition partie à la recherche d’or.
Nous marchions à la queue leu leu dans la jungle épaisse. Des hommes nous frayaient un sentier à coups de machettes. Des papillons magnifiques tournaient dans l’air, des perroquets colorés nous interpellaient, des araignées monstrueuses et toutes sortes de bibittes étranges nous chatouillaient au passage, et des grognements d’animaux nous rappelaient que nous n’étions pas chez nous !
Après 3 jours, l’expédition a dû s’arrêter. Un homme était gravement blessé. Avant de rebrousser chemin, le chef du groupe a décidé d’échanger le matériel transporté par les porteurs contre de l’or. La nouvelle s’est transmise de bouche à oreille, de village en village. Le jour suivant, à la nuit tombée, des indigènes vêtus de pagnes et le visage peint sont arrivés à cheval, ou à pied. Ils s’assoyaient devant notre groupe et tour à tour, ils ouvraient lentement une feuille de bananier repliée comme une enveloppe. Sous la lumière vacillante des lampes à l’huile, des pépites d’or scintillantes apparaissaient. Pendant que le trésor était pesé, l’Indien montrait ce qu’il voulait : du riz, des machettes, des fusils, des médicaments…
Je n’avais pas d’appareil photo, mais cette scène est gravée dans ma mémoire. Quand le chef a terminé de troquer le matériel d’expédition contre de l’or, il nous a invités à échanger quelque chose à notre tour. Nous avons haussé les épaules. Nous avions vidé nos sacs à dos pour transporter les provisions de l’expédition et nous étions sans le sou. Il n’était pas question de leur demander : — Prenez-vous des chèques de voyage ?

Avez-vous remarqué qu’il y a de grands thèmes dans la littérature qu’on s’emploie à aborder encore et encore, et sous des angles différents : les amours impossibles, la violence gratuite, les meurtres en série, les pouvoirs magiques, les voyages dans le temps, les super humains ou les animaux fantastiques doués de forces herculéennes ou de dons particuliers… Pensez seulement à Roméo et à Juliette que leurs parents tentent en vain de séparer. Combien de fois cette histoire a-t-elle été adaptée ?
J’étais à Gokarna, en Inde et j’ai décidé de peindre chaque jour la mer d’Arabie en me plaçant au même endroit. Finalement, j’ai fait une centaine de petites aquarelles de la mer. Et j’étais captivée par le fait qu’elle n’était jamais exactement pareille, jamais la même.
Je pensais que c’est un peu comme pour nous, les humains. Chaque jour, nous sommes un peu différents de la veille et l’on ne sait pas vraiment qui nous serons demain. C’est ce rythme de la vie qui est si fascinant. Nous sommes en mouvance, tout comme l’Univers.
Ainsi va le métier d’écrivain. Je n’aime pas que l’on me colle une étiquette : c’est ton style littéraire. Je ne veux pas être rangée dans un petit tiroir. De mon premier roman Le Toucan à mon dernier, il y a une évolution. Et je vous livre un secret : dans une relation de couple, ça marche bien quand on accepte de se voir transformer l’un et l’autre. Ne jamais… jamais dire à celui ou à celle qu’on aime : — On sait bien, toi… tu es comme ça !

— L’homme sur cette photo façonne une statue en glaise. Au fond de l’image, vous voyez un personnage assis portant des lunettes et une barbe courte : il s’agit aussi de l’une de ses œuvres. Ces artisans de l’éphémère fabriquent des statues pour les fêtes. Elles sont vite détruites par la première pluie !
— Il existe en Inde des écrivains publics : assis dehors derrière une table sur laquelle est posée une dactylo, ils rédigent des lettres pour ceux qui ne savent pas écrire !
— Les nettoyeurs d’oreilles sont aussi très populaires là-bas.
— Toujours en Inde, nous avons vu dans l’état de Goa des hommes escalader le tronc des palmiers jusqu’à leurs sommets pour récolter la sève de l’arbre. Ils entaillent les palmiers comme on entaille les érables chez nous. Et ils installent un petit contenant qui recueille le précieux liquide.
— Les sherpas au Népal sont simplement vêtus et chaussés de gougounes pour gravir les montagnes. Ils guident des touristes hyper équipés : lunettes de montagne, vêtements sport de grandes marques agencées à des bottes de randonnée et à des bâtons de marche.
— À La Paz en Bolivie, il y a un marché des sorcières où des vendeurs conseillent leurs clients à la recherche de porte-bonheur ou de potion magique. Ils offrent des fœtus de lama séchés, d’intrigants squelettes d’animaux pendus sur les murs, des onguents et des sirops aux couleurs douteuses dans des fioles poussiéreuses.
— En Argentine, les Gauchos galopent toute la journée, en bons cowboys, pour garder les troupeaux et les conduire aux pâturages.
— En Israël, des ramasseurs de vieux vêtements parcourent encore la ville de Tel-Aviv avec leur charrette et crient à travers les rues : Alte Sachen (vieilles choses).
— En Inde, il existe un métier d’enfileur de pétales de roses. Ils en font des colliers que les gens accrochent devant leur porte ou au rétroviseur de leur voiture. Il y a même là-bas des repasseurs publics qui arrêtent leur charrette devant les maisons pour repasser les vêtements avec un fer alimenté au charbon.
Il est si étrange de retrouver tous ces styles de vie !

Voici quelques souvenirs de voyage :

* Au Brésil, on fait de la luge sur les dunes. J’ai essayé ! Le traîneau se conduit dans le sable comme sur la neige.
* Dans la cordillère des Andes, en Équateur, j’ai voyagé assise sur le toit d’un train. Je me souviens encore des montagnes gigantesques et des hommes qui couraient d’un wagon à l’autre pour serrer les freins des wagons quand la pente était abrupte.
* À Mysore, en Inde, j’ai vu des vaches entièrement peinturées : vache verte, vache jaune, orange, rouge… Les Indiens les peignent pour célébrer certaines fêtes. Comme elles sont en liberté dans la ville, elles décorent naturellement les lieux ! Je ne suis pas certaine qu’elles apprécient !
* À Tansen au Népal, il y avait un poste de contrôle militaire pour entrer dans la ville. Les armes des soldats semblaient tout droit sorties d’un musée d’artillerie. Et j’ai vu un militaire arborer un auto-collant de Tigrou sur la crosse de sa mitraillette. Étrange association ! Dans le même pays, les rebelles attaquaient les touristes dans les montagnes pour leur réclamer de l’argent. Ils étaient armés, mais pleins de bonne volonté, car ils remettaient des reçus au cas où leurs camarades-rebelles nous arrêteraient de nouveau, un peu plus loin !
* À Delhi, l’une de mes filles a dit à sa sœur : — La dernière fois que je me suis brossé les dents, c’était au Koweït. Propos de voyageuses !
* À Udaipur, en Inde, j’ai croisé un petit garçon et son éléphant. Le pauvre mastodonte était terrifié par la circulation. Le garçon le rassurait en le tenant par la trompe et en lui parlant tout doucement. Et côte à côte, ils poursuivaient leur chemin. Drôle de couple !
* Je suis toujours estomaquée de voir là-bas ces grosses vaches sacrées qui se promènent à travers les villes, comme si c’était tout à fait normal !
* Partout dans le monde, il y a des jeunes qui rêvent d’aller à l’école. Ils savent que sans éducation, ils travailleront toute leur vie pour un salaire dérisoire.
* Au Nicaragua, on a rencontré une jeune Française qui voyageait en Amérique centrale… avec son vieux chien basset.

En voyage, on vit des expériences inusitées. On risque de croiser l’imprévisible. Mais la rencontre la plus intéressante reste celle que l’on fait avec soi-même !

J’ai peint ce tableau en Inde, au bord de la mer. Comme écrivain, j’aurais parlé d’un paysage tacheté et d’un homme assis dans une barque qui se souvenait. De quoi ? Je ne le sais pas. Je sais seulement que j’aurais pu construire un récit à partir de cette simple observation.
Pour un écrivain, comme pour un peintre, tout est dans le regard qu’il pose sur le monde. L’écrivain va même essayer de creuser et d’imaginer ce qui se cache derrière ce qu’il voit : derrière le visage d’une femme qui observe son enfant, celui d’un adolescent qui jette un coup d’œil à une fille de son âge, ou encore derrière l’éclair qui traverse les yeux de celui qui vient de se mettre en colère.
Et il y a ces petits gestes, si ordinaires chez nous, mais qui prennent une autre dimension selon le lieu où l’on se trouve. Un jour, j’ai regardé longtemps une femme dans le désert se laver les mains soigneusement tout en cherchant à utiliser chaque goutte d’eau. Une autre fois, j’ai surveillé un enfant et sa mère choisir un crayon à mine dans une échoppe au coin d’une rue. Pendant au moins dix minutes, ils avaient retourné l’objet dans tous les sens. Pour eux, cet achat était coûteux. J’ai utilisé ce souvenir dans mon livre La Révolte : Mya, une jeune birmane, achète un cahier et un crayon en prenant le même soin pour choisir la bonne pièce.
Il y a aussi les gestes qui sortent de l’ordinaire : comme ces hommes en Inde qui faisaient sécher des pétales de roses en les lançant dans les airs. J’ai aussi vu là-bas des femmes déambuler sur des échafaudages et habillées de longues robes colorées (des saris) et leurs bras étaient couverts de bracelets. Elles se déplaçaient comme des mannequins, malgré les briques et les planches qu’elles transportaient sur leur tête.
J’ai tellement d’images emmagasinées… Car écrire c’est d’abord regarder et enfouir dans sa mémoire des souvenirs qui attendent leur tour de passer dans les récits qui peuplent les livres.

Pour moi, le moment où jaillit l’idée d’un roman est primordial. Ce moment est non seulement le point de départ d’une nouvelle aventure littéraire, mais aussi celui où je dessine l’ébauche de la trame de l’histoire.
Je vous donne un exemple :
lorsque j’ai découvert le corps de la petite momie Juanita dans un musée au Pérou, j’ai tout de suite imaginé Lou, une jeune Québécoise, qui se tiendrait au même endroit, horrifiée par ce qu’elle voyait. Je savais qu’elle serait une fille débrouillarde, qu’elle parlerait un peu l’espagnol et qu’elle n’aurait pas l’habitude de rester indifférente devant une situation qu’elle juge injuste.
J’ai conçu au même moment le personnage de Pablo, un Péruvien avec qui elle ferait un échange étudiant. Et comme j’entrevoyais ce qui allait se passer et que je me trouvais au pays des Incas, j’ai pensé que le père de Pablo pourrait être un professeur d’archéologie, un spécialiste de la civilisation inca. Il y aurait matière à enquête et une poursuite à travers le Pérou et l’Argentine. Il me fallait des enquêteurs indépendants des forces policières locales. Les parents de Lou me parurent tout à fait indiqués pour ce travail ! Et lorsque je me suis mise à l’écriture de Destins Croisés, tout ce petit monde a décidé de n’en faire qu’à leur tête comme pour tous mes autres romans. J’ai simplement retranscrit les événements qu’ils me soufflaient.
Et par-dessus le marché, mes personnages ont tous décidé d’aller mettre leur nez dans une affaire de codex maya caché quelque part au Mexique.
Cette histoire est relatée dans les Pierres silencieuses.
Finalement, qui fait le roman ? L’auteur ou les personnages ?

Sur l’île de Don Det au Laos, tout est au ralenti. Les gens marchent lentement. On regarde la vie venir. Le marchand de glace livre ses blocs en pirogue le matin. C’est le Laos campagnard. L’air est bon. On voit les étoiles la nuit, même la Voie lactée. Il y a plein d’animaux en liberté : des coqs, des cochons, des oies, des canards, des poules avec leurs poussins et de gros buffles noirs, les cornes peignées par en arrière. Ce qui d’ailleurs, leur donne un air très distingué !
En voyage, je vois des gens vivre avec l’essentiel, sans plus. Ce qui m’incite, au retour, à me dégager d’un peu de superflu. Et les idées ont mûri doucement dans ma tête et je suis prête à raconter une nouvelle histoire. L’écriture est certainement la chose la plus intéressante et la plus passionnante que j’ai faite de toute ma vie. Évidemment, il y a la musique, le théâtre, la peinture, mais ils sont un peu comme l’écriture. Vous savez, les arts se recoupent, ils s’entrecroisent. Les mots ont une couleur, une odeur et un rythme.
Sur ce, je vous remercie de m’avoir suivie tout le long de ce voyage d’écriture. Nous avons partagé de bonnes histoires. Un merci particulier à Anne-Marie Fortin et à Communication-Jeunesse.

Au revoir,
Élizabeth